28 de desembre 2007

Du mystème au mathème, en passant par le mithème



Ils sont comme des perles, ces petits textes, qui seraient échappées de leur fil et attendaient patiemment d’être rassemblées à nouveau pour montrer leur cohérence dans la série : celle des Paradoxes de Lacan, soigneusement édités par Jacques-Alain Miller dans les volumes des éditions du Seuil.* Car même si ces paradoxes ne sont pas numérotés, ils ne font pas moins série, tous adressés à un auditoire attentif mais non pas nécessairement avisé de la psychanalyse, un auditoire qui n’est pas celui d’aujourd’hui mais qui peut représenter aussi l’opinion éclairée de ce moment où elle est touchée par le discours de la psychanalyse.

Les deux textes que nous commentons ici, « Du symbole, et de sa fonction religieuse » et « Intervention après un exposé de Claude Lévi-Strauss... », font partie du volume Le mythe individuel du névrosé, marqué par la lecture et l’analyse structurales que Jacques Lacan avait fait du cas freudien de l’Homme aux rats. Ces deux interventions - celle de 1954 lors d’ un Congrès de psychologie religieuse et celle de 1956 à la Société française de philosophie, suivent la logique découverte par Lacan comme celle du signifiant dans l’ainsi nommée « suprématie » du symbolique sur l’imaginaire et le réel, la même qui a permis dans les années cinquante son retour à Freud. Ainsi, en reprenant la conception lévi-straussienne de l’ « efficacité symbolique », on peut lire dans la première des interventions que « le symbolique est là [coup sur la table], et le réel est là [coup sur la table], et l’homme est dans le milieu [coup sur la table, suivi d’un silence] » (p. 64). Ou bien que « le monde de l’image existe, mais il ne nous intéresse que par son utilisation symbolique, en tant qu’il est pris dans l’univers du symbole et qu’il y remplit une fonction » (p. 77). Et c’est justement cette articulation qui motivera dans la seconde intervention la question adressée à Claude Lévi-Strauss : « sur la tendance, la direction dans laquelle vous orientez cette coordination de ce que j’appellerai, moi dans mon langage, le symbolique et l’imaginaire » (p. 111). La puissance, donc, du symbolique et du levier du signifiant sera ici mise à l’épreuve du dialogue à la suite de la démonstration de son efficacité dans l’analyse du cas de l’Homme aux rats. Mais justement, ce qui apparaît comme le plus intéressant à notre lecture de ces deux interventions, cinquante ans après, est ce qui fait objection déjà à cette suprématie du symbolique et constitue le véritable argument de Lacan dans son dialogue avec Mircea Eliade, dans la première, avec Claude Lévi-Strauss dans la seconde.

En effet, le dialogue avec Mircea Eliade a lieu dans le contexte d’une réunion autour de Saint Jean de la Croix et de la fonction du symbole dans les discours de la religion. Lacan veut distinguer sa conception du symbolique, ordonnée par la logique du signifiant, de sa réduction imaginaire au symbolisme, ce qui sera aussi l’argument de sa lecture critique de la théorie du symbolisme chez Ernest Jones dans le texte célèbre des Ecrits dédié à cette question. En effet, la question du symbolisme dans l’oeuvre de Saint Jean de la Croix était, et continue d’être, d’une densité frappante. Mais Jacques Lacan s’arrêtera justement à l’oeuvre du mystique baroque espagnol pour indiquer la présence d’un autre levier que celui du symbolique et du signifiant dans l’expérience du sujet, un autre levier qui préfigure, selon notre lecture, la fonction de l’objet a comme cause du désir du sujet. Et où mieux le repérer que dans l’oeuvre d’un mystique qui a pu écrire des choses comme celle-ci, trouvée dans une lettre adressée à la prieure des Carmélites : « Veillez à ce qu’il ne vous manque pas le désir qu’il vous manque » (Cate que no le falte el deseo de que le falte)[i] ? Il y a, en effet, dans l’oeuvre de ce mystique une évocation permanente de la dimension de la jouissance non symbolisable par le signifiant, cette jouissance non phallique sur laquelle Lacan s’arrêtera à nouveau, presque vingt ans plus tard dans son Séminaire Encore, pour ranger Saint Jean de la Croix, comme Sainte Thérèse, du côté féminin.



Nous croyons donc pouvoir isoler les termes qui préfigurent cette objection de l’objet a à la suprématie du symbolique dans deux expressions soulignées par Lacan dans ces interventions. La première est tirée justement du texte de Saint Jean de la Croix, Nuit obscure, quand il parle des « déguisements de l’âme » (disfraces del alma). Il faut signaler d’abord que l’expérience du sujet dans l’ascèse mystique, figurée dans la Montée au Mont Carmel, est une expérience qui se fait tout entière dans le registre du sens, c’est-à-dire dans le registre du symbolique plutôt que dans celui d’un symbolisme préétabli dans l’imaginaire. La nuit obscure est avant tout la nuit obscure du sens où le sujet fait l’expérience d’un non-sens radical pour accéder au sens de son être le plus intime. C’est dans cette ascèse que l’âme doit, pour séduire le Christ-Époux revêtir, dans la nuit, les déguisements ( faire semblant a une dimension un peu péjorative qui ne traduit pas votre propos ; je pense que la phrase ainsi transformée est plus fidèle à votre idée) qui seront en trois couleurs, le blanc de la foi, le vert de l’espérance et le rouge de la charité. Et Lacan, en critiquant la lecture symboliste qui établit des correspondances imaginaires, indique : « Réfléchissez que même les trois vertus théologales ne sont ici que des ‘déguisements de l’âme’ (...) ‘Déguisements de l’âme’, qu’est-ce que cela veut dire ? – si ce n’est que dans toute son analyse de la Montée, ou dans sa description de cette rencontre, comme vous voudrez, saint Jean de la Croix nous indique qu’une espèce de contorsion est nécessaire pour s’évader du monde du symbole. Je vous le répète, même l’ordre essentiellement symbolique des trois vertus théologales est momentanément considéré comme le manteau sous lequel s’abrite la dernière essence, qui va à l’union ineffable avec la divinité. Ce sont là des symboles d’évasion du symbole » (p. 82-83). Le symbole de l’évasion du symbole, voilà peut-être la meilleure description de ce point de non-sens dont l’expérience mystique fait le levier du désir et de la jouissance et qui sera élaboré plus tard par Lacan dans sa construction de l’objet a comme cette sorte de « symbole de l’évasion du symbole » par excellence, le mathème. L’un des lecteurs les plus attentifs de saint Jean de la Croix, le poète et critique José Angel Valente, avait reconnu cette même dimension du non-sens dans la fonction de la lettre comme inhérente à la texture de la parole et du symbolique. Et c’est précisément avec la catégorie logique de l’impossible, reprise aussi par Lacan dans la deuxième intervention que nous commentons, qu’il avait essayé de repérer sa fonction chez le sujet, là où « l’impossibilité même est la seule matière que fait possible le chant (...) la substance dernière du chant qui est, d’une certaine façon, l’impossibilité du chant » [ii].

Dans ce contexte, il ne sera donc pas excessif de repérer dans ces « déguisements de l’âme », tels que Lacan les isole, une sorte d’unité de l’expérience de jouissance du sujet mystique, une sorte de mystème pour le dire ainsi, qui fait présent la fuite du sens dans le symbole même, en trouant toute possibilité de faire consister un symbolisme quelconque. C’est avec l’instance de ce mystème que Lacan continue son « dialogue désopilant », comme le qualifie Jacques-Alain Miller dans la quatrième de couverture, avec l’historien des religions Mircea Eliade.



Et c’est avec lui que nous pouvons aborder maintenant l’autre dialogue de Lacan avec Claude Lévi-Strauss et « ses développements sur le mythème » (p. 103), pour y repérer l’autre terme qui préfigure ce qui dans le symbole fait présent l’évasion du symbole. Il s’agit maintenant d’appliquer la grille symbolique de ce mythème – unité minimale isolé par Lévi-Strauss dans l’analyse des mythes – qui s’est montré aussi efficace pour Lacan dans l’analyse des symptômes de la névrose obsessionnelle de l’Homme aux rats. Dans la nécessaire négativation de l’un des quatre termes de la structure – celui qui signifiera la mort et le phallus dans la structure subjective du mythe individuel du sujet obsessionnel – Lacan lit « le signe d’une espèce d’impossibilité de la totale résolution du problème du mythe » (p. 105). Dans les diverses variations de la combinatoire des éléments symboliques en jeu dans l’histoire du sujet et de ses répétitions, il y a au terme une solution impossible, une combinatoire qui ne cesse de ne pas se produire et qui fait fonction de ce réel qui ne parvient pas à être symbolisé. Il s’agit d’un point d’impossible qui sera nodal dans la structure du symptôme, comme dans celle du mythe même. Le symptôme obsessionnel se démontre alors lui-même comme l’impossibilité de réduire à la structure symbolique du signifiant ce qui de la jouissance fait retour dans le réel. Les « rats », ces rats qui sont devenus le nom même de jouissance du sujet, ne seraient donc que le symbole qui rend présente l’évasion irréductible du symbole dans le champ de la jouissance, ce que Lacan désigne un peu plus loin comme « le signifiant de l’impossible » (p. 106). N’est-ce pas un terme à retenir comme anticipation de ce qui fera trou dans la suprématie du symbolique et qui fera l’échec du Nom-du-Père à symboliser toute la jouissance ?

Les « symboles de l’évasion du symbole », le « signifiant de l’impossible » à symboliser, voici les formulations frappantes et paradoxales que Lacan construit à cette époque pour aller du mystème, la fuite de sens religieux inhérente à tout symbole, au mathème de l’objet nécessaire à la psychanalyse et au désir de l’analyste, tout en passant par le mithème de son contemporain Lévi-Strauss.



* Jacques Lacan, « Du symbole, et de sa fonction religieuse » et « Intervention après un exposé de Claude Lévi-Strauss à la Société française de philosophie, ‘Sur les rapports entre la mythologie et le rituel’, avec une réponse de celui-ci » dans Le mythe individuel du névrosé, Éditions du Seuil, Paris 2007.













[i] Vida y obras de San Juan de la Cruz, Biblioteca de Autores Cristianos, Madrid 1978, p. 371. (La traduction est notre).




[ii] Voir l’excellent article de José Angel Valente, “Juan de la Cruz, el humilde del sin sentido”, dans Variaciones sobre el pájaro y la red, Tusquets, Barcelona 1991, p. 71-75.

19 de desembre 2007

“Le Nouvel Âne”, una política del síntoma



Aperiódica, incisiva, sorprendente, más bien socarrona y de humor gracianesco – con arte e ingenio –, impulsora de foros y debates contra las políticas higienistas de salud que recorren los Ministerios europeos, crítica insurgente contra la homogenización y la ideología de la evaluación a la que nos someten buena parte de las políticas actuales, partidaria de lo singular en el arte y la cultura, del deseo como algo inesperado, inédito... Y todo ello siguiendo la clínica y el discurso del psicoanálisis de orientación lacaniana. Le Nouvel Âne (LNA) es la revista que, dirigida por Jacques-Alain Miller desde el país vecino, ha pasado decididamente al contraataque en un momento en el que Europa, la vieja Europa, parece olvidar la posición ética y cultural que la hizo crisol de la modernidad. Pero - ¡atención! - esta misma modernidad ha sido, a su vez, crisol de las ideologías que ahora retornan desde el Otro lugar con el ropaje “neo” (neoliberal, neohigienista, neoconservador...) Así que Europa no debe quejarse de la oleada sino que debe preguntarse de la buena manera cómo ha contribuido a ella, cómo ha alimentado a este Otro que ahora habita en su interior más íntimo. Es lo que el psicoanálisis puede hacer valer como posición ética al dirigirse al sujeto de nuestro tiempo y decirle: mira la parte que te corresponde en el desorden del que te quejas. Tu síntoma, como los síntomas que recorren nuestra civilización, no son atribuibles a una causa ajena a tí mismo – gen o neurona – sino que se alimentan del goce que tú mismo denuncias en el Otro.

Le Nouvel Âne recoge con esta voz el testigo de aquella otra revista llamada L’Âne (El Asno) que marcó una época en los años ochenta en Francia siguiendo la enseñanza del psicoanalista Jacques Lacan. De ahí le viene el nombre, de un chiste con el que Lacan quiso despertar a los propios psicoanalistas del sueño de su extraterritorialidad, encerrados en sus despachos, para que salieran a la escena pública e hicieran escuchar su voz en la ciudad: el Analista era así “L’Ane-à-liste” (El Asno en lista). El Nuevo Asno – la ironía del título indica que el psicoanalista se reconoce como el primer afectado por la enfermedad del lenguaje – tiene todas las razones para dirigirse de nuevo al sujeto de nuestro tiempo que quiere orientarse en la oleada, tsunami ya, de la llamada globalización.

Esta oleada ha sido designada por el movimiento generado alrededor de LNA – más precisamente por el lingüista y filósofo Jean-Claude Milner – de un modo muy preciso: se trata de la política de las cosas. Para esta política, el gobierno es algo demasiado serio como para confiarlo a los seres que hablan, esa especie que se arma un lío cada vez que abre la boca, y es mejor confiarlo a las cosas que se gobiernan por sí mismas en la mudez de los números, los protocolos y las estadísticas. Se necesitan entonces sólo expertos y gestores que traduzcan lo que las cosas dicen, generalmente en números y porcentajes. Tenemos muchos ejemplos de esta forma de gestión pública, guiada por el ideal de la eficacia mensurable y transparente, claramente contrastada cuando se trata de verificar la calidad de automóviles o aspiradoras, pero que termina siendo de lo más ineficaz y aniquilador, una verdadera pesadilla, cuando se aplica a las personas. Un ejemplo: la “Campaña Depresión” lanzada recientemente en Francia por el gobierno Sarkozy – y que tendrá seguramente su campaña homóloga en nuestro país – para prevenir y tratar el mal de nuestra época, ese cajón de sastre llamado “depresión”, el mal que la OMS ha establecido ya como la primera causa de invalidez cuando llegue el año 2020. El número 7 de LNA está dedicado a analizar y criticar los supuestos que esta campaña, desinformativa y más bien nociva para la salud pública, esconde en su aparente evidencia. En un momento donde varias estadísticas demuestran que el 90% de la población puede tener sentimientos depresivos, una campaña de alerta con el mensaje: “¡cuidado, puede estar usted deprimido sin saberlo!” tiene todas las posibilidades de acertar. Y de proveer enseguida al enfermo – eficacia probada – el remedio debidamente promocionado por las multinacionales de la farmacología. Pero, tal como insisten en hacer escuchar varios artículos de LNA, la medicalización masiva del sufrimiento psíquico es hoy una de las peores formas de asegurarse el retorno, cada vez más insidioso, del síntoma en la medida que no puede ser escuchado en su singularidad, con un sentido irreducible a una variable estadística. Como decía no hace mucho una autoridad sanitaria de nuestro país, alarmada por el gasto social dedicado a los psicofármacos: “Hoy se toman antidepresivos con demasiada alegría”. El humor, más o menos involuntario, de la declaración no debería dejar escondida la razón de esta política que la editorial de LNA sintetizaba así: “Reducir al humano a una cadena de neuronas y de neurotransmisores no es sólo reducirlo a la servidumbre, es condenarlo a un depresión definitiva”.

Es para ir a contracorriente de esta inercia, ciertamente depresiva, que LNA se ha propuesto reunir en Francia, y también más allá de sus fronteras, a las fuerzas vivas intelectuales del arte y de la cultura con el claro designio de incidir en la “polis” y hacer valer la singularidad del sujeto que el psicoanálisis encuentra en su experiencia. Los Forum organizados por LNA han reunido ya a nombres como Bernard-Henri Lévy o Philippe Sollers, de quien la revista ha tomado como lema su aforismo inspirado en el famoso de Voltaire: Tout est pour le mieux dans le pire des mondes possibles (Todo es para lo mejor en el peor – y no en “el mejor”, como decía Voltaire – de los mundos posibles). El último Forum LNA, realizado el pasado sábado 24 de Noviembre en París con 500 asistentes, contó con la participación de la directora de teatro Brigitte Jacques-Wajeman, acompañada de Emmanuel Demarcy-Mota, director del Théâtre de la Ville de Paris, del filósofo y lingüista Jean-Claude Milner, o de la artista Orlan, además de un buen número de psicoanalistas de varias ciudades europeas, de jóvenes estudiantes de psicología y filosofía, y de responsables de entidades médicas y de formación de psicoterapeutas. Se anuncia ya un próximo Forum LNA los días 1 y 2 de Febrero 2008 que el propio Ministerio de Sanidad francés ha tenido a bien acoger en sus locales (con sólo 250 plazas) y a la semana siguiente, el 9 y 10, un gran Meeting en los locales de la Mutualité de Paris (con un aforo de 1000 plazas).

Jacques Lacan pudo escribir un día: “que la felicidad se haya convertido en un factor de la política es una proposición impropia”, por la simple razón de que siempre lo ha sido. Así, el ideal de felicidad como promesa universal puede llevar también al “peor de los mundos posibles” y es por eso que el psicoanálisis confía más en la verdad que debe descifrarse en lo singular de cada síntoma. LNA ha hecho así suya aquella otra expresión de Lacan a la hora de responder al ideal de felicidad y darse el principio de su acción: una política del síntoma.